Le travail de Tracey Emin, l'égérie du mouvement des Young British Artists (YBA) des années 90, s'expose chez Xavier Hufkens. Une soixantaine d'oeuvres récentes (2016-2017) créées par cette figure emblématique du monde de l'art contemporain sont à découvrir dans les deux espaces de la galerie. Dessins et peintures côtoient néons et sculptures et une vidéo dynamise l'un des murs. Les oeuvres sont expressionnistes et explorent la tension entre le tangible et l'impalpable, le corps et les émotions. Autobiographiques, elles traduisent les obsessions et les tourments d'une artiste qui n'a de cesse de brouiller les pistes entre sa vie privée et son art.
L'intitulé de l'exposition, The Memory of your Touch, s'inspire d'une citation tirée de L'amant de Lady Chatterley (D.H. Lawrence, 1928). Des "écrits" émaillent les travaux exposés et Tracey Emin nous donne à lire une sorte de journal intime, journal où elle nous livre ses sensations et ses états d'âme. Comme dans ses oeuvres précédentes, si son travail se nourrit encore et toujours de son propre corps, de sexe cru, de désir et de sensualité, elle aborde aussi la sensation perdue de l'intime et le souvenir et la perte d'un être cher.
C'est le bronze monumental d'une femme qui nous accueille dans la verrière du 6 de la rue Saint-Georges. L'imposant corps sculpté fait écho aux petits formats à patine blanche disséminés au gré des salles. La seule photographie du parcours montre l'artiste de dos, allongée de tout son long sur un lit.
La spontanéité de l'exécution des tableaux rappelle la technique du dessin à main levée. De son trait, à la fois fluide et imprévisible, émergent des couches successives de peinture appliquées en amont sur la toile. Parfois, le "fantôme" d'une silhouette préalablement esquissée se devine en dessous d'un aplat de blanc. Les coloris rose pâle, rouge et noir évoquent l'intériorité du corps et les éclaboussures et coulées de peinture encouragent une lecture "organique" des toiles. On perçoit l'influence du peintre autrichien Egon Schiele (1880-1918) avec qui Tracey Emin partage des affinités certaines.
L'artiste croque des figures féminines dans une multitude de positions différentes et nous donne à voir le "sexe dans tous ses états". Si les corps représentés sont indubitablement calqués sur son propre corps, Tracey Emin tente, en omettant d'affiner les traits du visage de son "modèle", de rendre ses "autoportraits" ambigus et plus abstraits. Comme elle l'explique dans un entretien accordé récemment au magazine ARTnews: "si je ne montre pas mon visage, il ne s'agit pas d'un autoportrait, il s'agit plutôt d'une émotion que j'éprouve à laquelle les gens peuvent s'identifier."
Dans l'espace situé au 107 de la rue Saint-Georges, l'accrochage fait la part belle à une série de petits dessins à la gouache. Les croquis lèvent le voile sur des épisodes torturés voir tragiques de sa vie: ses avortements successifs et le décès récent de sa mère. Les images que Tracey Emin couche sur le papier sont dures et leur tracé viscéral est chargé d'émotions à vif.
La vidéo épistolaire You Made Me Feel Like This, 2017 renvoie explicitement au souvenir et au deuil de sa mère à qui l'artiste rédige une lettre qu'elle lit en voix off. Le néon My love is safe with you X, 2017 illustre combien, aujourd'hui encore, c'est son histoire intime qui sert de terreau à sa création.
The Memory of Your Touch met en scène le corps, les pensées et les émotions de Tracey Emin pour qui expression artistique rime avec catharsis. Bien qu'elle persiste à ne parler que d'elle et de son ressenti, force est de constater qu'elle réussit le pari de piquer notre curiosité et on ne peut que saluer son habilité à réinventer inlassablement des façons de se raconter.
Tracey Emin, 'The Memory of your Touch', Galerie Xavier Hufkens, 6 & 107 rue St-Georges, B-1050 Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 21 octobre 2017.
Copyright © 2017, Zoé Schreiber