Au détour d’une rue résidentielle de la commune d’Anderlecht, se dresse une longue bâtisse en brique surmontée d’une tour de style Art Déco dont la plupart des vitres de façade sont brisées.
A première vue abandonné, ce site délabré abrite les anciens locaux de la Brasserie Atlas. La friche industrielle est investie par le collectif d’artistes En Silence qui nous invite à découvrir, sur rendez-vous et ce jusqu’au 11 novembre prochain, leur "artist-run-space" insolite et nous propose une exposition de groupe intitulée La poursuite des choses évidentes… Compte-rendu d’une balade hors des sentiers battus!
Erigé entre 1913 et 1924, le bâtiment classé monument historique de la Brasserie Atlas est l’un des derniers témoins du passé brassicole bruxellois. Si la capitale belge se targuait au 19ème siècle de près de 90 brasseries, ce patrimoine architectural a de nos jours presque entièrement disparu ou a été réhabilité en bureaux, en logements ou en pôles culturels à l’instar du WIELS, du BRASS et du MIMA (Millennium Iconoclast Museum of Art) pour ne citer qu’eux.
L’occupation artistique provisoire de la Brasserie Atlas est le fruit du hasard. Il y a deux ans, alors qu’ils sont à la recherche d’espaces d’ateliers, Jonas Meier et Antoine Jacqz (deux des membres fondateurs du collectif En Silence) tombent littéralement sur l’ancienne brasserie et apprennent, coïncidence du calendrier, que l’immense bâtiment, vient de se libérer de ses occupants (de 1980 à 2016, la Brasserie Atlas sert de dépôt-vente de meubles et de logement à la communauté La Poudrière Emmaüs). Avec l’aval du nouveau propriétaire, et en attendant la reconversion imminente du lieu en complexe résidentiel, ils décident de s’y établir en compagnie de la dizaine de jeunes artistes belges, français et suisses qui compose le collectif.
Depuis lors, dans cet espace archi brut, vaste laboratoire créatif et expérimental de plus de 15 000 mètres carrés, le collectif En Silence organise des expositions, des projections, des concerts, des conférences et des résidences. La fermeture définitive de ce lieu alternatif est programmée à l’été 2019 et la visite de La poursuite des choses évidentes constitue de ce fait l’une des dernières opportunités de s’aventurer dans cet endroit unique.
Pour la première fois, les membres du collectif et les plasticiens invités à exposer à leurs côtés ont aussi investi la tour principale de la Brasserie Atlas. La visite est quelque peu "sportive": l’espace de la tour fait à lui seul 9 000 mètres carrés et les 7 étages sont à gravir sans ascenseur. Bien que sécurisés, certains passages sont étroits et les 2ème et 3ème étages, qui hébergeaient autrefois d’énormes cuves de brassage, sont traversés par des découpes circulaires à la Gordon Matta-Clark. Le bâtiment n’est pas isolé et le froid et le ruissellement de la pluie s’y invitent par journées hivernales et pluvieuses... Frileux, claustrophobes, personnes à mobilité réduite ou atteintes de vertiges, s’abstenir! En revanche, pour les plus téméraires, aller à la découverte de ce joyau brut de l’architecture industrielle bruxelloise et des œuvres conceptuelles et radicales des 12 artistes présentés, est une expérience à ne pas manquer.
Les plasticiens se sont emparés des impressionnants volumes de ce lieu unique avec ingéniosité, poésie et une grande économie de moyens. La poursuite des choses évidentes présente des interventions réalisées in situ et des sculptures, des installations vidéos et sonores, des photographies et des dessins. Toutes les œuvres ont été réalisées spécialement pour l’exposition et entrent en résonnance avec l’architecture et l’histoire de la Brasserie Atlas.
La visite commence au sous-sol, au sortir d’un long tunnel souterrain. Une maquette en béton de la tour, signée Clara van der Belen, nous accueille et éclaire la pénombre de la première pièce. En désolidarisant les néons du plafond et en les disposant au ras du sol, Nicolas Bourthoumieux transforme complètement notre perception de l’espace. Tom Rider & Delphine Wibaux relient quant à eux un récepteur de fréquences radio à une cuve de brassage qui se transforme en énorme caisse de résonance et amplifient ainsi le vrombissement du silence ("white noise").
Si d’aucuns explorent les propriétés physiques du bâtiment, d’autres artistes évoquent les présences (tant humaines qu’animales) qui l’ont traversé. Salomé Boltoukhine et Julien Dumond ont condamné l’une des fenêtres avec un grillage anti-pigeons et appellent les insectes à investir le lieu en les attirant vers le point lumineux d’une lampe, allumée 24h/24, qui renvoie aux villages reculés du Laos, référencés dans deux vidéos et une photo. Nancy Moreno évoque elle aussi, d'un trait stylisé, la présence de pigeons que l’on devine habitués des lieux. Douglas Eynon recouvre de cire les traces circulaires laissées au sol par l’accumulation de bidons de bière et créé des portes-manteaux en céramique à l’effigie des ouvriers de la brasserie. Les paysages naturels de l’installation vidéo de Jonas Meier accentuent l’aridité de l’architecture brutaliste ambiante. Les images projetées migrent d’un écran à l’autre sur fond d’une bande sonore atmosphérique.
La visite de l’exposition réserve bien d’autres surprises et la sculpture filiforme et monumentale d’Antoine Jacqz, un paratonnerre long de plus de 35 mètres dont la pointe s’étend du toit au sous-sol de la tour, sert, tant au sens propre qu’au figuré, de "fil conducteur" à La poursuite des choses évidentes.
La poursuite des choses évidentes: une exposition à la Brasserie Atlas avec Antoine Jacqz, Clara van der Belen, Nicolas Bourthoumieux, Jonas Meier, Julien Dumond, Salomé Boltoukhine, Douglas Eynon, Tom Rider & Delphine Wibaux, Gijs Milius, Claude Cattelain, Nancy Moreno, Régis Joncteur Monrozier, Brasserie Atlas, 15 rue du Libre Examen, B-1070 Anderlecht, Belgique. Jusqu’au 11 novembre 2018. Visite sur rendez-vous du mercredi au dimanche.
Plus d’information: http://www.en-silence.be/la-poursuite-des-choses-%C3%A9videntes.html
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