C'est en terre mexicaine que la galerie Templon nous convie ce mois-ci. Intitulée Emotional Architecture, l'exposition met à l'honneur James Casebere, photographe américain qui situe sa pratique à la confluence du cinéma, de l'architecture, de la sculpture et de l'art conceptuel. La série de photographies grand format présentée s'inspire de l'œuvre de l'architecte mexicain Luis Barragán (1905-1988), l'une des figures majeures de l'architecture du XXème siècle, dont l'esthétique austère privilégie la couleur, l'ombre et la lumière. Le concept d'"architecture émotionnelle" (une architecture qui prend en compte le ressenti des visiteurs) figure au cœur de cette exposition éponyme et les photographies exposées révèlent la dimension artistique et poétique du travail architectural de Luis Barragán.
James Casebere (1963-) appartient au courant de la photographie dite de mise en scène ("staged photography"). Si cette mouvance regroupe des artistes comme Jeff Wall et Gregory Crewdson, c'est aux photographes belge et allemand, Philippe de Gobert et Thomas Demand que le travail de James Casebere s'apparente le plus. En effet, comme eux, il réécrit le réel à partir de maquettes et documente une réalité souvent inventée et construite de toute pièce.
Cela fait une trentaine d'années que James Casebere scénographie sa réflexion sur l'espace et sa passion pour l'architecture. Aucune présence humaine ne trouble la rigueur des espaces qu'il photographie mais la taille de ses clichés et leur profondeur de champ donnent au spectateur la sensation d'entrer de plain-pied dans les lieux. Lesdits lieux ne sont d'ailleurs qu'une reconstitution réalisée en studio: sa démarche consiste à construire une maquette qu'il sculpte dans des matériaux tels que le carton, le papier, la mousse ou le plastique. La maquette lui permet de jouer sur la perspective et l'échelle et il ne la photographie qu'une fois mise en scène et transformée par l'éclairage. Cette image photographique n'est que la photographie d'une fiction et permet à l'artiste d'explorer, pour ne pas dire de brouiller, les frontières entre réel et illusion.
L'exposition marque un tournant dans l'œuvre de James Casebere et ne ressemble guère aux photographies présentées au Palais des Beaux-Arts BOZAR en 2016. En effet, si la luminosité mystérieuse des tirages convoque encore et toujours souvenirs et émotions, les lieux austères, à caractère politique et social (cellules de prisons, écoles...) photographiés en noir et blanc et les photographies aériennes de banlieues idylliques aux couleurs pastel, ont fait place à des lieux aux couleurs saturées. Comme l'explique James Casebere: "Je voulais créer un espace contemplatif, paisible et beau, un espace qui n'évoquerait aucune idée d'enfermement."
Une dizaine de photographies inédites sont à découvrir dans l'exposition Emotional Architecture. James Casebere nous immerge littéralement dans les réalisations les plus emblématiques (la Casa Barragàn, la Casa Galvez, la Casa Prieto-Lopez, la Casa Gilardi...) de l'architecte mexicain et rend hommage par ce bias à la sérénité et à la majesté qui se dégage de son architecture à la fois épurée, élégante et graphique. Les photographies sont comparables à de très grandes toiles et, en dépouillant les intérieurs de tout élément décoratif (meubles, objets, œuvres d'art, escaliers sont absents), le plasticien attend du spectateur qu'il fasse confiance à sa mémoire ou à son intuition pour combler les vides.
Si l'illusion est parfaite dans certaines images, dans d'autres, le vrai faux gazon, la fluidité trop plastique de l'eau et le rendu artificiel d'un arbre trahissent l'illusion du réel... Tout a l'air vrai mais n'est que ressemblant. Bien que proches de la réalité, les images-tableaux à l'indéniable beauté déstabilisent et suscitent un sentiment d'étrangeté.
Dire le vrai par le faux est l'une des stratégies du réalisme contemporain et James Casebere, en architecte de l'image, questionne notre perception du réel: il ne le reproduit pas mais l'interprète. Le visiteur est amené à mettre en doute ce qu'il regarde et ce qu'il voit et à s'interroger sur la nature et le processus de construction des images.
James Casebere, Emotional Architecture, Galerie Templon, Rue Veydt, 13A, B-1060, Bruxelles, Belgique. Jusqu'au 14 avril 2018.
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